En 1866 - le choléra sévit à Lanvéoc

Un médecin de marine, J.-B. Guillemart, est dépêché à Lanvéoc dans les premiers jours de février.

C’est lui qui nous raconte le déroulement de l’épidémie :

"Historique de l’épidémie :Il résulte des renseignements que je me suis procuré dans le pays même, que chaque épidémie cholérique qui s'est manifestée à Brest, a eu son écho, sa répercussion à Lanvéoc. Ainsi les années 1831, 1849, 1854, ont été marquées dans cette localité par une segmentation considérable de la mortalité, due à l'influence du fléau. Mais dans aucune de ces circonstances le nombre des décès n'avait atteint un chiffre aussi élevé qu'en 1866.

Le choléra sévissait à Brest depuis les premiers jours du mois de janvier et Lanvéoc jouissait d'un excellent état sanitaire. Quelques diarrhées avaient été signalées au commencement de l'automne précédent, mais depuis plus de deux mois on n'en avait observé aucune autre.

Les vents soufflaient presque constamment du Sud-Ouest ou de l'ouest, c'est-à-dire de Lanvéoc vers la ville infectée. A cause des rigueurs de la saison, les communications avec Brest étaient plus rares que d'habitude (ces communications se font au moyen de trois ou quatre bateaux non pontés, monté chacun par deux ou trois hommes. La durée de la traversée est au moins d'une heure, dans les circonstances les plus favorables. Elle peut se prolonger beaucoup plus longtemps, lorsque le vent est contraire. Les départs n'ont pas lieu en général à jours ni à heures fixes. De plus, à l'époque dont je parle, un petit bateau à vapeur venait faire escale à Lanvéoc deux fois par semaine, le lundi et le vendredi, jours de marché à Brest).


"15 janvier 1866, le sieur Nicolas, douanier retraité, marie sa fille. Afin de préparer ce mariage, il séjourne à recouvrance du 11 au 13 janvier, mais ses affaires l’amènent souvent dans le quartier de Keravel à Brest où le choléra sévit avec intensité depuis le début du mois. Dans certaines maisons qu’il fréquente durant son séjour, déjà des malades succombent. Il est de retour à Lanvéoc le 13 janvier au soir. Le lendemain, quelques parents s’en viennent de Recouvrance afin d’assister à la noce. Avec eux, un enfant de sept ans, François Nicolas, en bonne santé. Quatre jours plus tard, il se sent indisposé, avant d’expirer le 20 janvier, présentant les symptômes du choléra. Le sieur Nicolas lui-même éprouve diarrhées et vomissements, symptômes du choléra, mais il arrive à guérir au bout de quelques jours.

Une semaine plus tard, le 22 janvier, les époux Riou, proches parents du sieur Nicolas, marient également une de leurs filles. Comme leur parent, ils séjournent à Recouvrance du 18 au 20 janvier, dans la famille de leur futur gendre. Comme lui également, ils se rendent dans les quartiers considérés comme les principaux foyers de l’épidémie. Le jour même de la noce, le sieur Riou, 52 ans, tombe malade. Il est emporté par la maladie en 48 heures.

Le lendemain, 25 janvier, un homme de 36 ans, habitant un hameau voisin de Lanvéoc, est aussi emporté par la maladie. Il était tombé malade le soir-même de son arrivée de Brest. Son décès est suivi de celui d’une jeune fille qui avait fait le voyage de Brest en bateau en sa compagnie. Puis les décès s’enchaînent. D’abord une femme âgée qui a assisté aux deux noces, puis la veuve Riou qui décède le 30 janvier. C’est ensuite le tour d’un batelier. Quatre nouveaux cas s’ensuivent dans la maison habitée par les époux Riou… Au 22 février, on compte vingt-et-un décès, dont seize dans le bourg de Lanvéoc."


 Climat :Le temps est humide et froid, la pluie tombe continuellement. Les conditions atmosphériques augmentent encore l’insalubrité habituelle des demeures. Le médecin s’intéresse tout particulièrement aux conditions de vie des Lanvéociens. Il constate que le bourg est organisé autour de deux rues. La première n’est pas pavée. Il ne s’agit que d’un mauvais chemin, raviné, bordé de quelques masures à demi ruinées. Pendant tout l’hiver, cette chaussée est transformée en une mare boueuse où coulent le liquide des étables et les immondices des maisons voisines. Très insalubre, cette rue est le foyer de prédilection des épidémies et chaque fois que le choléra paraît à Lanvéoc, c’est là qu’il frappe avec le plus de violence. La seconde rue est en forte pente ce qui permet aux eaux pluviales de s’y écouler facilement vers le littoral. Les maisons y sont moins humides, mieux aérées. Le foyer d’infection y sera assez circonscrit. Par contre le cimetière est isolé, donc dans une situation plus favorable à l’hygiène.


Les habitations : Elles sont en général petites, basses et humides. Elles ont presque toutes une toiture en ardoise. Chaque pièce ne dispose que d’une fenêtre étroite. Le sol y est en terre battue, humide et boueuse. Aux habitations sont adossées des crèches ou des étables, mais il en est aussi où la vache et les moutons vivent sous le même toit que la famille. La litière des animaux n’est séparée de la pièce à vivre que par un lit ou une armoire. Les immondices sont recueillies dans une fosse en plein air à côté de la maison ou dispersées sur les fumières voisines. Dans les villages avoisinants, les conditions d’hygiène sont encore plus fâcheuses.


La nourriture : Elle se compose généralement de pain d’orge grossier, de pommes de terre et de bouillie de blé noir. La viande fraîche est rare, une fois par semaine chez les plus aisés, à l’occasion des grandes fêtes chez les autres. Le lard salé est plus fréquent. La nourriture, en grande partie d’origine végétale, est insuffisante. La boisson ordinaire est l’eau des puits ou des fontaines qui est en général bonne

La tendance au lymphatisme, à la scrofule, à la tuberculose, existe chez un certain nombre d'individus. Les maladies qu'on observe le plus fréquemment, outre celles déjà énumérées, sont la fièvre typhoïde et la dysenterie. Ces deux affections sévissent ordinairement vers la fin de l'été et dans le cours de l'automne. Elles y revêtent le caractère épidémique. L'élément typhique envahit, en général, le champ pathologique.


J.-B. Guillemart va s’attacher à atténuer les foyers épidémiques pour tenter d’enrayer la progression de la maladie. Outre l’interdiction de se rassembler chez les malades évoquée précédemment, il va chercher à isoler les maisons infectées en y admettant auprès des malades que le personnel nécessaire pour les soigner. Il va aussi s’attacher à assainir l’atmosphère intérieure des maisons par des dégagements de chlore. L’humidité était combattue par une ventilation fréquente et l’entretien de feux clairs dans les foyers. La plus grande propreté fut mise en pratique. Les matières des vomissements et les déjections étaient éloignées des habitations et enfouies au fur et à mesure. Dès qu’un décès se produisait, le corps était inhumé rapidement. Tous les couchages et les vêtements des malades étaient soumis à un battage vigoureux et lavés à l’eau chlorurée, puis exposés à l’air loin des maisons et sous le vent. Dans la mesure du possible, les maisons où la mort venait de frapper étaient évacuées et désinfectées à l’aide de vapeurs de chlore. Enfin, des distributions de bouillon, de vin, de bois, de vêtements furent organisées au profit des plus pauvres. En termes de prophylaxie, le médecin cherche à améliorer la salubrité des habitations, l’hygiène et le régime alimentaire des habitants. On remarque que le vin remplace l’eau qui est un vecteur de transmission des épidémies. Par contre, en termes de médication, le médecin ne dispose que de peu de médicaments dans sa pharmacie et doit donc se contenter de réchauffer les corps, de les frictionner. Parmi les médicaments qu’il utilise, on relève l’éther, le laudanum, le sous-nitrate de bismuth, l’alcool de menthe, le rhum, l’élixir de la Grande-Chartreuse… « avec des résultats variables »mais jamais la glace, vu l'impossibilité de s'en procurer. 


Sur les seize décès constatés dans le bourg de Lanvéoc, le médecin observe que douze d’entre eux ont eut lieu dans la partie la plus insalubre du village et les quatre autres dans trois maisons contiguës, toutes dans un état d’hygiène déplorable. Le médecin exclut la dispersion aérienne de l’épidémie. Pour lui les causes sont à rechercher dans l’insalubrité, l’encombrement et la misère qui ont favorisé la propagation de la maladie. Il aura ensuite suffi que les personnes ayant séjourné à Brest apportent avec elles les germes du choléra. Dans ces bourgs, les habitants sont en général unis les uns aux autres par des liens de parenté plus ou moins rapprochés. Il suffit dès lors que le choléra se déclare dans une maison pour que les voisins, les parents, les amis accourent, malgré la terreur que leur inspire son seul nom, et participent ainsi à la propagation « du miasme infectieux ». « Lorsque j’eus interdit toute espèce de rassemblement de ce genre, l’épidémie perdit aussitôt ce caractère de propagation rapide qu’elle offrait avant mon arrivée » conclut le médecin.

 

Le choléra a touché 106 personnes, dont 80 dans le seul bourg de Lanvéoc qui comptait alors 350 âmes. 23 % de la population du bourg a donc été infectée. 21 personnes en meurent, dont 16 dans le bourg. Cela signifie donc que 4,6 % de la population du bourg a été emportée par la maladie. Cela fait aussi 20 % des personnes affectées par la maladie. Sur les 21 personnes mortes du choléra dans la section de Lanvéoc, on comptait 12 de sexe féminin et 9 de sexe masculin. Trois se trouvaient dans la première enfance, deux avaient moins de 15 ans, quatre entre 20 et 40 ans, deux entre 40 et 50 ans, une entre 50 et 60 ans, et sept avaient plus de 70 ans. Sur les 106 malades du choléra, 70 ont souffert d’un choléra léger, et 36 d’un choléra grave qui a emporté 21 d’entre eux. « La mortalité a été plus considérable chez les enfants que chez les adultes ; plus considérable chez les vieillards que chez les enfants ».


J.-B. Guillemart quittera Lanvéoc au début du mois de mars, non sans avoir précisé, le 2 mars, que bien qu’il n’avait plus de cholériques à soigner, il était toute la journée en campagne : « on vient m’appeler pour voir des malades sans me dire quelle affection ils ont ; quand j’arrive, je trouve des incurables, des paralytiques, pour lesquels je ne puis rien. On veut profiter du séjour d’un médecin gratuit et je crois qu’avant mon départ j’aurai donné des consultations à plus de 200 personnes ». L’épidémie de choléra ne doit pas faire oublier que nombre de maladies sévissent dans les campagnes à cette époque, sans oublier les handicaps ou les accidents.

J.-B. Guillemart fera part de son expérience lanvéocienne à l’occasion d’une thèse qu’il a présenté le 21 février 1868 devant la Faculté de Médecine de Montpellier.


Quant au choléra, il faudra attendre 1883 et les travaux de Robert Koch pour découvrir la bactérie à son origine.

La contamination, d’origine fécale, se fait par voie orale en consommant des boissons ou des aliments souillés. Les mesures de prophylaxie adoptées par le médecin s’avérèrent donc judicieuses lorsqu’il s’est agi d’améliorer l’hygiène ou la salubrité et d’éloigner les familles et les voisins. Des mesures de bons sens qui ont permis de faire barrage à la propagation du virus.


Sources :

https://www.mairie-crozon.fr/4/DECOUVERTE/Histoire/Le-cholera-sevit-a-Lanveoc

https://www.notrepresquile.com/recits/autres/lanveoc-medecin-epidemie-cholera-1866.php